CHAPITRE 16

Ce n’était pas un vrai bateau mais plutôt un genre de barge ou de péniche, qui avait dû rompre ses amarres et dériver au fil du courant, à en juger par la longue corde traînant derrière. Mais elle ferait parfaitement l’affaire. Garion ne lui trouvait qu’un seul inconvénient, en fait : celui d’être sous huit pieds d’eau, le flanc tribord avant enfoncé.

— Qu’en penses-tu, Belgarath ? demanda Beldin.

— Je ne sais pas, mais un bateau coulé ne me paraît pas une embarcation très fiable, répondit le vieux sorcier.

— Tu préfères traverser à la nage, peut-être ? Il n’y a pas un radeau à cinq lieues à la ronde.

Durnik resta un moment planté au bord des eaux troubles du fleuve, à reluquer l’épave.

— C’est jouable, conclut-il.

— Enfin, Durnik, fit Silk, vous avez vu ce trou, à l’avant ?

— Il devrait être réparable. A condition que ce rafiot ne soit pas resté là assez longtemps pour commencer à pourrir. Et je ne connais qu’un moyen d’en avoir le cœur net.

Il ôta sa tunique couleur de rouille et ses bottes, pataugea dans l’eau boueuse, disparut sous la surface et nagea sous l’épave. Il longea l’un des flancs en se halant avec les mains, s’arrêtant à chaque pied pour tâter le bois avec son couteau, puis, au bout de ce qui leur parut une éternité, il remonta afin de respirer.

— Alors ? demanda Belgarath.

— La carcasse m’a l’air en bon état, répondit le forgeron. Mais je vais tout de même vérifier l’autre côté.

Il replongea dans les eaux verdâtres, poursuivit son inspection, reparut un instant et redescendit pour examinera l’intérieur de la péniche. Puis il étudia le trou béant à la proue, regagna la surface et avala une grande goulée d’air.

— La structure est parfaitement saine, annonça-t-il en ressortant, tout dégoulinant, de la rivière. Je ne sais pas ce qui a fait ce trou dedans, mais en tout cas, aucun organe essentiel n’est endommagé. Je devrais pouvoir rafistoler cette barcasse afin qu’elle nous emmène de l’autre côté du fleuve. Mais il faudra d’abord que nous la déchargions.

— Tiens donc ? s’exclama Silk, le nez frémissant de curiosité. Et quel genre de marchandise transportait-elle ?

— Des haricots, soupira le forgeron. Un plein chargement de haricots. L’ennui, c’est qu’ils ont gonflé, et que les sacs ont éclaté.

Le petit Drasnien poussa un gémissement de bête blessée.

— Allons, Kheldar, ils étaient peut-être à un de vos confrères, intervint Velvet pour le consoler.

— Ah, ah, que c’est drôle.

— Allez, Durnik, je vais te donner un coup de main, proposa Garion en ôtant sa tunique de couleur indéterminée.

— Euh… merci, Garion, bredouilla son ami, mais je t’ai vu nager. Je préfère que tu restes au sec. Toth va m’aider.

— Comment allez-vous faire pour la tirer de l’eau ? s’enquit Sadi.

— Avec tous ces chevaux, ça ne devrait pas poser de problème une fois que nous aurons réussi à la retourner, répondit le forgeron avec un haussement d’épaules.

— Et pourquoi voulez-vous la retourner ?

— Parce que le trou est à l’avant et que nous avons intérêt à la vider avant de la remonter sur la terre ferme. Sans ça, un troupeau de chevaux n’y arriverait pas.

— Oh. Bien sûr.

Toth posa son bâton, ôta la couverture qu’il portait sur l’épaule et s’engagea dans le fleuve.

Essaïon suivait son exemple lorsque Polgara s’interposa.

— Où crois-tu aller, jeune homme ?

— Je vais décharger le bateau avec eux, Polgara, répondit-il sérieusement. Je nage très bien. J’ai eu souvent l’occasion de m’exercer, vous vous souvenez ?

Et sur ces mots, il s’aventura dans l’eau à son tour.

— Là, je n’ai pas tout compris, murmura Velvet.

— Il a grandi avec Durnik et moi, au Val, expliqua la sorcière avec un soupir funèbre. Il y avait une rivière, tout près de chez nous, et il n’arrêtait pas de tomber dedans.

— C’est donc ça !

— Bon, fit sèchement Belgarath. Ils vont avoir besoin de bois pour boucher ce trou. Nous sommes passés devant une remise, à un quart de lieue en amont. Retournons-y, nous allons la démantibuler.

Le temps que Durnik et ses compagnons remontent la péniche sur la berge, le soleil était couché depuis longtemps. Les éléments devaient être avec eux, car ils furent dispensés de tempête de grêle, ce soir-là. Ils firent du feu sur le bord du fleuve pour s’éclairer, et le forgeron, Toth et Essaïon se mirent à l’ouvrage.

Silk tourna un moment autour de l’embarcation en tirant une tête d’enterrement.

— C’est bien une de mes barges, lâcha-t-il enfin, dans un soupir sépulcral.

— Alors, je vous félicite pour l’excellent équipement de vos péniches, déclara Durnik en mesurant une planche. Nous avons trouvé dedans tout ce dont nous avions besoin : des clous, un tonneau de goudron, et même une bonne scie. Nous pourrons la remettre à flot avant le lever du jour.

— Eh bien, ça en fait toujours un de content, rétorqua amèrement le petit Drasnien. Quand même, ce n’est pas normal…

— Quoi donc ? s’enquit Velvet.

— D’habitude, quand je veux un bateau, je le vole. Je trouve immoral d’utiliser l’un des miens.

Elle éclata de rire et lui tapota la joue.

— Mon pauvre, pauvre Kheldar ! Ça doit être terrible de répondre de ses actes devant une conscience aussi exigeante !

— Allons, Mesdames, fit Polgara en frappant dans ses mains. Si nous nous occupions du souper ?

Pendant que Durnik, Toth et Essaïon s’affairaient autour de l’épave et que Polgara, Ce’Nedra et Velvet préparaient le dîner, Garion et les autres allèrent chercher du bois et entreprirent de fabriquer des avirons rudimentaires. Ils ne lâchèrent pas leur travail même pour manger. Garion eut l’impression que tout était étrangement en ordre. Il était entouré d’amis, chacun avait quelque chose à faire. La réparation du bateau était d’une importance vitale, mais elle impliquait des tâches simples, dans lesquelles il pouvait s’absorber sans la frénésie qui avait caractérisé ses récentes activités. C’était presque reposant.

Après avoir dîné, les femmes remontèrent du fleuve des vaches à eau qu’elles firent chauffer sur des pierres, puis elles se retirèrent derrière une toile de tente pour procéder à leurs ablutions.

Vers minuit, Garion descendit au bord du fleuve à son tour pour plonger ses mains endolories dans l’eau. Ce’Nedra était assise non loin de là et jouait à faire glisser machinalement le sable entre ses doigts.

— Tu devrais essayer de dormir, tu sais, fit tendrement Garion.

— Je peux veiller aussi tard que toi, rétorqua Ce’Nedra.

— Oh, j’en suis sûr. Mais à quoi bon ?

— Ne me parle pas sur ce ton protecteur, Garion, je ne suis plus une enfant.

— Ça, j’ai eu l’occasion de m’en apercevoir à plusieurs reprises, releva-t-il d’un air entendu.

— Voyons, Garion ! s’exclama-t-elle, faussement indignée.

Il éclata de rire, s’approcha d’elle et lui planta un gros baiser sonore sur la joue.

— Va dormir, mon tout petit, je t’assure.

— Que faites-vous, là-bas ? demanda-t-elle en regardant la plage où ses compagnons s’activaient toujours.

— Des avirons. Nous ne pouvons pas nous contenter de mettre cette barge à l’eau et de nous laisser porter par le courant. Nous irions tout droit jusqu’à Gandahar.

— Oh. Eh bien, tu as gagné. Je vais me coucher. Honne huit, fit-elle en bâillant. Si tu allais me chercher une couverture avant de retourner au chantier naval ?

Il fallut presque toute la nuit à Durnik et Toth pour boucher le trou de la proue avec une pièce sommaire pendant que les autres fabriquaient de longues rames. Quelques heures avant le lever du jour, de fines volutes de brume commencèrent à monter de la rivière. Durnik tartina généreusement de goudron l’intérieur et l’extérieur de la réparation, puis il recula de trois pas et examina son ouvrage d’un œil critique.

— Vingt impériales d’or que cette barcasse va fuir comme une passoire, pronostiqua Silk.

— Tous les bateaux fuient, rétorqua le forgeron avec un haussement d’épaules désinvolte. Nous n’aurons qu’à écoper.

La mise à flot de la barge exigea pas mal d’efforts et un système de poulies assez pittoresque. Puis Durnik descendit dans la cale examiner le rafistolage à la lueur d’une torche.

— Ça suinte juste un tout petit peu, répondit-il, assez satisfait. Nous ne risquons pas de sombrer.

Le temps qu’ils chargent leurs affaires à bord, le brouillard était à couper au couteau. C’était le printemps dans cette partie du monde, et les grenouilles énamourées chantaient à gorge déployée dans les roseaux. Garion trouva ce son agréable, presque soporifique. Durnik avait exploré les berges, vers l’aval, et repéré un endroit où la rive, érodée par le courant, descendait en pente douce vers le fleuve. Il confectionna une sorte de rampe avec les dernières planches, puis ils traînèrent la barge vers ce berceau de lancement improvisé et firent embarquer les chevaux.

— Attendons que le jour se lève un peu, suggéra alors Durnik. Dans le noir, avec ce brouillard, nous n’y verrons rien, et je ne pense pas que vous aimiez ramer au point d’avoir envie de faire des ronds sur le fleuve avec ce truc-là.

— Nous ne pourrions pas fabriquer un genre de voile ? suggéra Silk d’une voix pleine d’espoir.

— Sans problème. Je m’y mets dès que vous aurez trouvé un moyen de faire souffler le vent, répondit le forgeron en humectant son doigt et en le levant dans l’air immobile.

La physionomie du petit Drasnien s’allongea de six aunes.

— Bon, pendant que vous faites le nécessaire, je vais parler un peu avec Ce’Nedra.

Il remonta vers le haut de la plage et réveilla la petite reine de Riva.

— Vous voulez que je vous dise ? Il y a des moments où je trouve que ces forgerons ont un sens de l’humour assez morbide, marmonna Silk.

Dès que l’horizon s’éclaircit, à l’est, ils poussèrent la barge dans le brouillard. Le forgeron prit la barre tandis que les autres s’installaient aux avirons.

— Dites, maître Durnik, je ne voudrais pas vous donner l’impression de la ramener, mais le brouillard, en Nyissie, ça nous connaît, commença Sadi tout en tirant sur son aviron. Quand il fera grand jour, vous n’aurez pas la moindre idée de la position du soleil. Comment comptez-vous maintenir le cap ?

— Ce’Nedra y veille, répondit le forgeron avec un mouvement de menton vers la proue.

La petite reine de Riva était penchée par-dessus le bastingage, à bâbord, et observait attentivement un bout de bois qui flottait au bout d’une longue corde.

— Que fait-elle ? demanda l’eunuque, perplexe.

— Elle vérifie que nous sommes sur la bonne trajectoire. Nous suivons grosso modo un cap perpendiculaire au courant, mais tant que la corde fait toujours le même angle avec le navire, tout va bien. J’ai fait une marque sur le bastingage, et la corde ne doit pas s’en éloigner.

— Vous pensez toujours à tout, pas vrai ? remarqua Sadi.

— J’essaie. On évite pas mal de problèmes en réfléchissant avant d’agir.

Ce’Nedra leva un bras et le tendit impérieusement à tribord. Elle semblait prendre son rôle très au sérieux. Durnik tourna docilement la barre dans la direction indiquée.

Puis la rive orientale du grand fleuve disparut dans le brouillard et Garion eut l’impression que le temps s’était arrêté. Il avait beau courber le dos sur son aviron, se redresser et se pencher à nouveau avec une monotone régularité, tout semblait figé dans le temps et dans l’espace.

— Pas folichon, hein ? rouspéta Silk.

— Ça, ramer n’a jamais été très marrant, acquiesça Garion.

— Dis donc, reprit Silk, un ton plus bas, après un coup d’œil par-dessus son épaule, tu ne trouves pas que Durnik a changé ?

— Je n’ai pas remarqué, non.

— Écoute, d’habitude, il est tellement effacé que pour un peu on l’oublierait, et là-bas, sur la plage, c’est lui qui a pris la direction des opérations.

— Ha toujours été comme ça. Quand nous faisons une chose qu’il ne connaît pas bien, il se contente de nous regarder en ouvrant de grands yeux, mais dès que nous entreprenons une tâche qui lui est familière, il entre en jeu et il fait ce qu’il faut. Et puis il apprend vite, ajouta Garion en regardant Silk avec un sourire malicieux. À mon avis, il est aussi bon espion que toi, maintenant, et j’ai vu comment il t’observait, pendant que tu spéculais sur le cours des haricots, là-bas, en Melcénie. S’il se lance un jour dans les affaires, je pense que vous avez intérêt à numéroter vos abattis, Yarblek et toi.

— Il ne ferait pas ça, hein ? marmonna le petit homme au museau de fouine, l’air un peu inquiet tout de même.

— Qui peut savoir, avec Durnik ? rétorqua Garion en tournant brièvement la tête pour lancer un sourire affectueux à son ami.

Le soleil monta dans le ciel et, à sa lumière diffusée par les myriades d’infimes gouttes d’eau, le monde autour d’eux devint monochrome : ils étaient pris entre la blancheur fantomatique du brouillard et les ténèbres de l’eau, sans moyen de savoir s’ils avançaient toujours et, dans ce cas, s’ils suivaient le bon cap. Garion ne pouvait se départir d’une drôle d’impression à l’idée qu’ils dépendaient complètement de Ce’Nedra et de l’attention avec laquelle elle regardait la corde et l’entaille sur le bastingage. Il l’aimait mais il savait qu’elle était parfois fantasque et qu’il lui arrivait de commettre des erreurs de jugement. Pourtant ses petits gestes impérieux à bâbord ou à tribord ne trahissaient ni hésitation ni manque d’assurance. Durnik, d’ailleurs, s’y conformait aveuglément. Garion poussa un soupir et continua à ramer.

Vers le milieu de la matinée, le brouillard commença à s’effiler et Beldin leva son aviron de l’eau.

— Dis, Belgarath, vous ne pourriez pas vous passer de moi ? suggéra-t-il. Je pense qu’il vaudrait mieux que j’aille voir ce qui nous attend de l’autre côté. Il se passe des choses très déplaisantes en ce moment à Darshiva, et je préférerais éviter de toucher terre au beau milieu de tout ça.

— Sans compter que tu dois en avoir assez de ramer, insinua le vieux sorcier avec un rictus sardonique.

— Je pourrais emmener ce bateau-lavoir au bout du monde, rétorqua le petit sorcier bossu en faisant jouer les muscles de ses bras noueux comme des branches de chêne, mais ça attendra les vacances. Je ne crois pas que tu aimerais découvrir, en arrivant de l’autre côté, que Nahaz t’a réservé un petit comité d’accueil.

— Fais ce que tu penses devoir faire.

— M’as-tu jamais vu agir autrement, même si ça ne te plaît pas toujours ? Pardon, ma p’tite chérie, mais faut qu’j’y allions, on m’demande aut’part, dit le vilain petit gnome avec son accent paysan, traînant, en s’approchant de Ce’Nedra, toujours plantée à la proue.

— J’ai besoin de vous pour ramer, protesta-t-elle. Comment vais-je maintenir le cap si tout le monde s’en va ?

— Chuis sûr qu’vous y arriv’rez, ma p’tite chérie, répondit-il en lui tapotant la joue, puis il disparut dans la blancheur spectrale, abandonnant derrière lui un rire fantôme.

— Revenez ici tout de suite ! hurla-t-elle dans le vide.

Mais il était déjà loin.

Une faible brise se leva. Garion la sentit effleurer sa nuque ruisselante de sueur. Le brouillard qui se dissipait peu à peu se mit à tournoyer et à tourbillonner légèrement.

Ils se retrouvèrent alors environnés de tous côtés par des formes noires, menaçantes, qui les dominaient comme des tours.

— Garion ! s’exclama Ce’Nedra.

Des cris de triomphe s’élevèrent de la blancheur de plus en plus diaphane. Ils étaient cernés par des bâtiments qui faisaient mouvement pour les empêcher de battre en retraite.

— On tente de les prendre de vitesse ? souffla Silk d’une voix âpre.

Belgarath parcourut les navires d’un regard plus froid que la glace des pôles.

— Les prendre de vitesse ? Dans cette pataugeoire ? Ne soyez pas ridicule !

Un navire s’approcha pour leur barrer la route et Garion reconnut les uniformes des rameurs.

— Des soldats malloréens, nota-t-il tout bas. Ce sont les hommes de Zakath.

Son grand-père marmonna quelques jurons choisis.

— Attendons un peu et serrons les fesses. Ils ne savent peut-être pas qui nous sommes. Silk, tâchez de nous tirer de là par vos beaux discours.

Le petit homme se leva et se dressa à la proue de la barge.

— Eh bien, capitaine, fit-il à l’officier qui commandait le navire, nous sommes rudement heureux de voir l’armée impériale dans la région ! J’espère que vous ferez cesser les hérésies qui agitent ce pays !

— Je pourrais savoir votre nom ? demanda l’officier.

— Quel imbécile je fais ! s’exclama Silk en se frappant le front. Je m’appelle Vetter. Je travaille pour le prince Kheldar. Vous avez peut-être entendu parler de lui ?

— Ce nom me dit quelque chose, en effet. Où allez-vous ?

— À Balasa, dans les Protectorats de Dalasie. Le prince Kheldar m’a chargé d’y défendre ses intérêts, mais encore faudrait-il que j’arrive à traverser Darshiva. La situation est assez troublée par ici. À propos, capitaine, fit-il d’un ton pénétré, peut-être pourrais-je faire appel à vos hommes ? J’aurais grand besoin d’une escorte et j’ai carte blanche pour vous dédommager largement.

— C’est à voir, répondit l’officier.

Un navire encore plus énorme émergea à cet instant du brouillard, juste devant leur barcasse rapiécée, et par-dessus le bastingage apparut un visage familier, coiffé d’un casque d’acier étincelant, incrusté d’or.

— Eh bien, Sire Belgarion, ça fait un moment, dites donc ? s’exclama plaisamment le général Atesca. Nous devrions nous voir plus souvent, vraiment.

Le cœur de Garion manqua un battement et le rattrapa au centuple. Il n’était plus question d’essayer de ruser.

— Vous saviez que nous étions là, s’exclama-t-il d’un ton accusateur.

— Évidemment. Mes hommes vous avaient repérés depuis la rive de Peldane, répondit-il d’un petit ton suffisant.

— Je n’ai senti aucune présence, nota Polgara en renvoyant un pan de sa cape bleue par-dessus son épaule.

— Le contraire eût été surprenant, ma Dame. Les hommes qui vous espionnaient sont des imbéciles. Ils ont autant de cervelle que des champignons. Vous n’avez pas idée du temps qu’il m’a fallu pour leur expliquer ce que j’attendais d’eux, ajouta le général avec un regard écœuré vers l’autre rive du fleuve. Enfin, il y a des individus de cet acabit dans toutes les armées. Nous avons bien essayé de nous en débarrasser, mais il faut croire que la bêtise au front de bœuf peut avoir son utilité, dans certains cas.

— Vous êtes un homme astucieux, Atesca, reprit-elle d’un ton pincé.

— Non, Dame Polgara, un soldat, et rien d’autre.

Un officier n’est jamais plus futé que ses services de renseignements. C’est Brador qui est rusé. Depuis la bataille de Thull Mardu, il collecte sur vos dons spécifiques toutes les informations que les Grolims ont pu recueillir. L’Église s’intéresse beaucoup à vos exploits, ma Dame, et au fil des années elle a réuni quantité de renseignements sur vos pouvoirs. Si j’ai bien compris – mais je ne suis pas spécialiste de la question, bien entendu – plus un esprit est éveillé et plus il vous est facile de détecter sa présence. J’ai donc chargé des légumes humains de votre surveillance. Piètre embarcation, vraiment, commenta-t-il avec un regard critique à leur barge. La maintenez-vous à flot par sorcellerie ?

— Non, répondit Durnik d’une voix sèche, à la limite de l’agressivité. Grâce à nos compétences.

— Eh bien, Maître Durnik, je m’incline devant vos compétences, renvoya Atesca avec emphase. Je gage que vous feriez flotter une pierre, si besoin était. J’espère pouvoir compter sur vous, Vénérable Ancien, pour ne pas déroger aux règles de l’hospitalité ? poursuivit-il en regardant Belgarath.

— J’entendrai ce que vous avez à dire, riposta celui-ci, sur la défensive.

— Sa Majesté Impériale a exprimé le besoin de s’entretenir de certains problèmes avec vos compagnons et vous-même, Saint Belgarath, et je dois, par ailleurs, vous avertir que vous vous jetiez droit dans un guêpier, avec votre épave. Le bon sens commande d’éviter Darshiva, en ce moment.

— Je n’ai jamais prétendu avoir tout mon bon sens, rétorqua le vieux sorcier.

— Que devrais-je dire, moi qui ai entrepris une campagne destinée à envahir cette région particulièrement insane ! s’exclama l’homme à la cape rouge. Permettez-moi, Mesdames, Messieurs, de vous offrir l’hospitalité de mon bâtiment. Ne m’en veuillez pas d’insister, ajouta-t-il d’un air d’excuse, mais j’ai des ordres… Et puis, nous aurions peut-être intérêt à mettre nos informations en commun en attendant l’arrivée de Sa Majesté Impériale.

— Zakath est attendu ici ? releva Garion.

— En effet, Majesté. Il ne doit pas être à plus d’une journée de cet endroit, à présent. Et il brûle du désir d’avoir une longue conversation avec vous.

— Que faisons-nous, Grand-père ? demandèrent les doigts de Garion.

— Nous n’avons pas le choix pour l’instant. Beldin est quelque part dans le coin. Je vais lui faire savoir ce qui s’est passé. Il aura bien une idée.

— Entendu, répondit tout haut le vieux sorcier. Je commençais à en avoir un peu assez de ramer, de toute façon.

— Préviens les autres, ajouta-t-il discrètement à l’attention de Garion. Nous allons faire semblant de le suivre docilement jusqu’à ce que nous soyons à Darshiva, du moins.

Le vaisseau d’Atesca n’était pas très luxueux, mais d’un confort satisfaisant. Ils se réunirent dans la cabine avant, encombrée de parchemins et de cartes de toutes tailles. Le général se montra courtois mais ferme, selon son habitude.

— Vous avez mangé quelque chose, ce matin ? demanda-t-il.

— Nous n’avons guère eu le temps, répondit Belgarath.

— Je vais faire prévenir le maître coq.

Il s’approcha de la porte, dit quelques mots à l’un des gardes en uniforme rouge plantés devant et revint.

— Bien. En attendant, nous pourrions peut-être nous mettre mutuellement au courant de la situation ? J’ai entendu dire qu’en quittant Mal Zeth vous étiez allés à Ashaba, puis vous avez soudain reparu à Melcène, et voilà que je vous retrouve sur la Magan, à mi-chemin de Darshiva. Décidément, vous ne tenez pas en place.

Il sait ce que nous fabriquons, dit Silk avec ses doigts en regardant Belgarath. Pas la peine de jouer au plus fin.

— Je vous en prie, Prince Kheldar, protesta Atesca, froissé. Ne faites pas ça. C’est très impoli, vous savez.

— Eh bien, général, s’esclaffa Silk, soit vous avez des yeux de lynx, soit j’ai les doigts rouillés par l’âge. Quoi qu’il en soit, je disais simplement à Belgarath que je ne voyais pas l’intérêt de vous cacher les raisons de notre présence en Mallorée. Kal Zakath les connaissait ; à quoi bon vous maintenir dans l’ignorance ?

Il interrogea du regard le vieux sorcier qui acquiesça d’un hochement de tête.

— Quand nous sommes partis pour Ashaba, nous poursuivions Zandramas et le fils du roi Belgarion, reprit alors le petit Drasnien d’une voix grave, presque recueillie. Elle nous a promenés dans tout Karanda, à Jarot, dans le nord de Celanta et jusqu’à Melcène, puis nous sommes revenus sur le continent.

— Vous êtes toujours à sa poursuite ? s’enquit âprement le Malloréen.

— Plus ou moins, mentit pieusement Silk, puis il estima prudent de changer de sujet. Nous avons découvert à Ashaba qu’Urvon déménageait complètement. Ça devrait intéresser Kal Zakath. Bref, Urvon est sous la domination d’un Démon Majeur nommé Nahaz. Zandramas en a suscité un autre, un certain Mordja, et ils se crêpent le chignon à Darshiva. À votre place, général, j’y réfléchirais à deux fois avant d’investir la région. Je ne sais pas si Nahaz et Mordja apprécieraient que vous vous immisciez dans leurs affaires.

— Qu’est-il arrivé à Mengha ? coupa sèchement Atesca. Je croyais que c’était lui qui détenait le pouvoir de susciter les démons.

— Mengha était en fait un prêtre chandim appelé Harakan, répondit Silk avec un petit sourire condescendant. Il a été le sous-fifre d’Urvon pendant des siècles.

— Comment ça, a été ?

— Il nous a quittés, hélas. La rencontre avec un petit serpent vert appelé Zith lui a causé un choc fatal.

Le général se tourna vers Sadi en riant à gorge déployée.

— J’avais entendu parler de votre enfant chérie, Excellence. Pensez-vous qu’elle aimerait être décorée de la médaille des Héros de l’Empire, par exemple ?

— Je doute fort que ça l’intéresse, général, répondit fraîchement l’eunuque. Et puis, elle pourrait se méprendre sur les intentions de celui qui s’aviserait de la lui épingler.

— Évidemment, convint Atesca. Au fait, j’espère qu’elle est bien enfermée ? fit-il en roulant des yeux inquiets alentour.

— N’ayez crainte, général, lui assura Velvet avec un de ses sourires pleins de fossettes. En ce moment, elle s’occupe de ses bébés. Ils sont absolument adorables. Vous devriez les montrer au général, Sadi.

— Oui, euh…, balbutia l’officier. Une autre fois, peut-être.

— Très bien, Atesca, coupa Belgarath. Nous vous avons dit ce que nous faisions par ici. Je pense que votre tour est venu de nous rendre la politesse.

— Nous non plus, Vénérable Belgarath, nous n’avons guère fait mystère de nos activités. L’armée impériale a quitté Mal Zeth et fait mouvement vers Maga Renn dans l’intention d’utiliser cette ville comme camp de base. J’avais pour instructions de mener l’avant-garde de nos forces en aval de la Magan et d’occuper Ferra. Notre stratégie consistait à empêcher Zandramas de recevoir des renforts de Darshiva afin de laisser le soin à Urvon d’écraser les troupes qu’elle avait à Peldane. Nous avions ensuite prévu d’anéantir Urvon, après quoi nous devions traverser le fleuve et réduire à néant les régiments que Zandramas avait laissés là-bas.

— Excellente tactique, approuva Silk.

— L’ennui, c’est qu’elle n’a pas marché. Nous avons coupé Zandramas de Darshiva, mais un de ses seconds couteaux est descendu à Gandahar et en a ramené un troupeau d’éléphants. Il faudra que j’en parle à Sa Majesté Impériale, reprit Atesca en fronçant les sourcils. Je n’ai rien de particulier contre les mercenaires, mais les éleveurs d’éléphants de Gandahar pourraient se montrer plus sélectifs lorsqu’ils louent leurs services. Enfin, il y a eu un combat dans le centre de Peldane, hier, et les éléphants ont obtenu le résultat escompté. Les hommes d’Urvon ont été mis en déroute, mais au lieu de se replier sur Celanta, ils ont pris les éléphants et le reste de l’armée darshivienne à revers et ils foncent droit sur la Magan. S’ils arrivent à entrer à Darshiva, j’aurai du pain sur la planche entre les démons, les Grolims, les Chandims, les Mâtins, les éléphants, les Karandaques et l’armée de Darshiva au grand complet. Je crains que la campagne ne soit pas aussi brève et aisée que prévu, conclut-il avec un soupir endeuillé.

— Pourquoi ne pas laisser Urvon et Zandramas vider leur querelle jusqu’à leur mutuelle extinction ? suggéra Silk.

— Pour des raisons politiques, Prince Kheldar.

L’empereur ne tient pas à passer pour un couard – ou un homme désarmé – et n’a aucune envie de voir une autre armée que la sienne remporter quelque victoire que ce soit en Mallorée. Ça créerait un précédent funeste et risquerait de donner de fâcheuses idées aux amateurs. La Mallorée n’est pas une société monolithique comme on pourrait le croire du dehors. La seule chose qui préserve sa cohésion, c’est la toute-puissance de l’empereur.

— Je ne puis qu’approuver ce raisonnement. La stabilité est essentielle pour les affaires.

— A propos, reprit Atesca, il faudra que nous ayons une petite conversation tous les deux, à propos de haricots.

— Vous êtes vendeur ou acheteur ? demanda insolemment Silk.

— Revenons-en à l’affaire qui nous intéresse, coupa Polgara. Atesca, quelles sont les intentions de l’empereur à notre sujet ?

— Je l’ignore, ma Dame. Sa Majesté ne me fait pas ses confidences. Mais ce que je puis vous dire, c’est qu’elle était fort marrie de la façon dont vous lui avez faussé compagnie, à Mal Zeth.

— Elle savait où nous allions, riposta platement Garion. Et pourquoi.

— C’est sans doute l’une des choses dont elle souhaite s’entretenir avec Votre Majesté. Qui sait ? Vous parviendrez peut-être à trouver une manière de compromis.

— C’est possible, certes, mais peu probable.

— Enfin, Sa Majesté en décidera.

Le brouillard s’était levé, mais une couverture nuageuse pesait sur le ciel de Darshiva. Debout à la proue du vaisseau d’Atesca, Garion reconnut une odeur désagréablement familière. C’était un mélange de rouille humide, d’eau croupie et de moisissure, ou de champignons. Il scruta la rive, devant lui, et eut soudain la vision déprimante d’une forêt de souches mortes, d’une blancheur d’ossements.

Atesca s’approcha discrètement de lui.

— J’espère que Votre Majesté ne me tiendra pas rigueur de l’avoir appréhendée, ainsi que ses amis. On dirait que ça devient une habitude.

— Vous obéissez à vos ordres, général, riposta sèchement Garion. Si je suis en conflit avec quelqu’un, c’est avec votre empereur, pas avec vous.

— Vous êtes un homme très tolérant, Majesté.

— Pas vraiment, non, mais je ne perds pas de temps à en vouloir à des gens qui se contentent de faire ce qu’on leur dit.

Le Malloréen préféra changer de sujet en douceur.

— Le temps devrait se lever d’ici la mi-journée, annonça-t-il en regardant la rive de Darshiva, distante de moins d’une demi-lieue à présent.

— À votre place, Atesca, je n’y compterais pas trop, rétorqua le jeune roi de Riva d’un ton sinistre. Vous êtes déjà allé à Cthol Mishrak ?

— Les militaires, Majesté, n’ont pas grand-chose à faire dans des ruines abandonnées.

— Cthol Mishrak n’était pas abandonnée. Il y avait des Chandims, des Mâtins et d’autres créatures que je serais bien en peine de nommer.

— Des fanatiques religieux, répondit Atesca avec un haussement d’épaules. Qui agissent pour des motifs incompréhensibles. J’ai entendu dire que c’était un endroit très malsain.

— Eh bien, je crains fort que vous en contempliez un autre, reprit Garion avec un mouvement de menton vers la rive. Je sais que les Melcènes n’ont rien à envier aux Tolnedrains du point de vue du scepticisme, et j’ignore ce que vous croirez de tout ce que je pourrais vous dire. Mais enfin, vous sentez cette odeur particulière ?

L’homme à la cape rouge huma la brise et fronça le nez.

— Je dois dire que ça ne sent pas très bon.

— Eh bien, ça sentait exactement comme ça à Cthol Mishrak. Je ne serais pas étonné que les nuages ne se soient pas levés depuis plus de douze ans, au-dessus de Darshiva.

— J’ai peine à l’imaginer.

— Regardez ces arbres, fit Garion en lui indiquant les souches. Que faut-il, selon vous, pour tuer une forêt entière ?

— Une sorte de maladie, j’imagine.

— Non, général. La végétation aurait repris ses droits, depuis le temps, or on ne voit pas une pousse verte. Les arbres sont morts par manque de lumière. La seule chose qui réussit à pousser ici, maintenant, ce sont des champignons. Il pleut de temps en temps, et la pluie forme des mares. Le soleil ne vient plus faire évaporer l’eau, qui reste là, à stagner. Ça explique une partie de la puanteur.

— On dirait que ça sent aussi la rouille. D’où cela peut-il venir ?

— Ça, je n’en sais rien. À Cthol Mishrak, ça venait de la tour de Torak. Darshiva est environnée d’obscurité parce que c’est le foyer de l’Enfant des Ténèbres.

— J’ai déjà entendu ce terme. Mais qui est cet Enfant des Ténèbres ?

— Zandramas. En ce moment, du moins. Vous êtes vraiment sûr de vouloir faire venir vos troupes ici ?

— Ce sont les ordres, Sire Belgarion. Mes hommes sont des vétérans. Ils vont construire un camp retranché sur ce rivage, que le soleil se montre ou non. Puis nous attendrons l’empereur. Il a un certain nombre de décisions à prendre. Dont la moindre n’est pas de savoir ce qu’il va faire de vous.

La sorciere de Darshiva
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